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« Le modèle de l’EHPAD est indispensable, mais pas tel qu’il est aujourd’hui »


Publié le Lundi 30 Mai 2022 à 15:10

Ministre déléguée en charge des Personnes âgées et de l'Autonomie entre 2012 et 2014, Michèle Delaunay a impulsé et défendu avec ferveur la loi ASV, loi d'adaptation de la société au vieillissement, promulguée le 29 décembre 2015. Celle qui se dit désormais retirée des affaires – à regret – nous expose sa vision de ces vingt dernières années, de la naissance aux limites d’un modèle.


Michèle Delaunay, ancienne Ministre déléguée en charge des Personnes Âgées et de l’Autonomie. ©DR
La loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale initiait la création des EHPAD tels que nous les connaissons aujourd’hui. Quel regard portez-vous sur cette étape et plus généralement sur l’évolution de l’accompagnement du grand âge ?
Michèle Delaunay : Dans ma jeunesse, il était inconcevable de mettre ses parents en établissement. La plupart souhaitaient mourir chez eux – à l’époque on ne disait pas vieillir – et cette décision avait quelque chose de sacré. Mais notre civilisation, les relations entre générations, et les circonstances ont changé. Le développement des grandes villes, l’éloignement des familles et le prix du foncier ont mené à une incapacité de s’occuper de ses parents âgés. Cette répartition démographique couplée au travail des femmes, qui étaient jusque-là les aidantes naturelles, ont finalement rendu la création des EHPAD souhaitable et même nécessaire.

Sans oublier que nous vivons désormais plus âgés et que cette avancée en âge demande des soins spécifiques…
Je pense en effet, et il y a certainement matière à le prouver scientifiquement, que les périodes de diminution cérébrale étaient moins fréquentes autrefois. Par le passé les gens mourraient bien souvent du poumon, avant de développer la maladie d’Alzheimer ou d’autres troubles apparentés. Depuis, l’espérance de vie a fait un bond et l’on guérit d’à peu près tout.

La création des EHPAD venait donc répondre à ces évolutions. Vingt ans après, quels enseignements en tirez-vous ?
La maison de retraite d’antan reposait sur un modèle confessionnel ou municipal, avec un état d’esprit à fort caractère social, complètement différent de celui que l’on rencontre aujourd’hui. Si je ne remets pas en cause le développement d’une nouvelle forme d’accueil, l’arrivée des EHPAD commerciaux, au sein desquels la dimension caritative a totalement disparu, a changé la donne. Les structures très onéreuses se sont multipliées et désormais, les établissements se définissent en fonction de leurs tarifs. Une évolution qui est peut-être à l’origine des difficultés et souffrances d’aujourd’hui.

L’essor du modèle privé lucratif serait selon vous source de problèmes. Iriez-vous jusqu’à dire que ce type d’établissements n’a pas sa place dans l’accompagnement du grand âge ?
J’ai effectivement un parti pris, mais je ne souhaite pas pour autant l’interdiction pure et simple des EHPAD commerciaux. Le modèle privé lucratif peut se concevoir, à condition qu’il soit strictement encadré. Je ferai d’ailleurs la comparaison avec le monde sanitaire qui s’est lui aussi partiellement privatisé. Si les cliniques privées se sont multipliées, ces dernières me semblent néanmoins moins éloignées de l’hôpital public que ne le sont les EHPAD entre eux. Cela s’explique par la nature même de la médecine qui peut être facilement codifiée et contrôlée. Les EHPAD, à l’inverse, ne disposent pas de critères clairs permettant la comparaison objective. Au-delà du décor, les usagers n’ont aucun moyen de savoir si un établissement quatre fois plus cher est réellement mieux qu’un autre. En étant députée, j’avais introduit le contrôle des EHPAD par la Cour des Comptes mais je me rends compte aujourd’hui que ce n’était pas suffisant. J’aimerais que ces comparaisons soient possibles.

Pouvez-vous développer ?
Lorsque l’on se rend dans un établissement hôtelier affichant 4 étoiles, on sait à quels services s’attendre, alors que pour un EHPAD qui coûte 10 000 €, il n’y a aucune obligation de qualité. Tout comme le système des étoiles pour les hôtels, il faudrait définir des critères reposant sur des éléments objectifs et vérifiables. Une tâche qui pourrait incomber à un comité d’éthique spécifique.

En tant que ministre, vous avez porté la loi ASV, faisant la part belle à l’accompagnement à domicile. Quid des EHPAD ?
Cette loi devait avoir un acte II, intitulé « Grand âge - Établissements », apportant justement un soutien à la grande perte d’autonomie. Le travail sur le sujet était déjà très engagé et j’avais l’appui de mon Premier Ministre. On avait établi les possibilités, étudié les financements. J’y croyais, mais il y a eu le remaniement*.

Depuis, les annonces d’une loi grand âge se sont multipliées sans jamais aboutir. Quel est votre point de vue sur la question ?
Le passage par la loi me semble obligatoire. Pourtant les politiques, qu’ils soient députés ou candidats à la présidentielle, n’en parlent pas. C’est un sujet qui n’est pas sexy. Et ce n’est pas seulement d'une loi sur le vieillissement dont nous avons besoin, mais d’un texte encadrant à la fois la santé, le vieillissement et la fin de vie. On ne peut pas seulement payer parce que les gens meurent. Il nous faut redéfinir le grand âge, déterminer ce qui relève de la maladie et donc de la Sécurité Sociale, tout en encourageant les mesures de prévention. C’est un sujet extrêmement délicat, qui nécessite encore des réflexions.

Un mot de conclusion ?
Quand je regarde l’actualité, l’une de mes culpabilités est de ne pas avoir eu l’idée que l’on pouvait être si mal dans des établissements si luxueux. Le modèle de l’EHPAD est indispensable à la société dans laquelle nous vivons, mais pas tel qu’il est aujourd’hui. Ce n’est pas un endroit banal, il doit dépendre de critères obligatoires, vérifiables et contrôlés, communs à tous les établissements qu’ils soient publics ou privés. Des critères hôteliers et financiers, mais également de soins. Car tout en étant des lieux de vie, ils se situent aux confins du médical.


*En avril 2014, au lendemain de la défaite de la gauche aux municipales, Jean-Marc Ayrault présente sa démission et celle de son gouvernement. Manuel Valls, est alors nommé Premier Ministre et Laurence Rossignol remplace Michèle Delaunay en tant que Secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Seul l’acte I de la Loi ASV sera voté et adopté.

Article publié dans le numéro d'avril d'Ehpadia à consulter ici


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